Que veut dire
« Français de souche » ?
Employée dès le XIXe siècle pour désigner les Français installés en Algérie, par opposition aux « autochtones », l’expression « Français de souche » a été institutionnalisée en 1958.
On distinguait alors les « Français de souche européenne » des « Français de souche nord-africaine ».
Elle connut ensuite un certains succès dans les années 80 dans les milieux d’extrême droite.
Une polémique est née en 1991 lorsque la démographe « Michèle Tribalat » a elle-même employé « Français de souche » dans une étude, pour désigner les personnes « nées en France de deux parents nés en France ».
Atlantico :
D’où vient, selon vous, cette expression qui fait tant polémique aujourd’hui ?
Jacques Barou :
Le terme n’est jamais utilisé dans les statistiques de l’ »Insee », où il n’est question que de « Français de naissance ».
Plutôt qu’un concept sociologique ou démographique, c’est une expression courante, une habitude verbale.
Si l’expression « Français de souche » provoque des levées de bouclier, c’est parce qu’elle a pu être utilisée dans des périodes marquées par la xénophobie, notamment dans les années 1930.
A l’époque le « Front populaire » avait naturalisé des étrangers assez généreusement, et le gouvernement qui a suivi, très influencé par la droite dure, était revenu sur cette mesure en utilisant des termes dépréciatifs pour désigner les naturalisés.
Atlantico :
Hors des débats passionnés, que désigne l’expression « Français de souche » ?
Jacques Barou :
Cela désigne des personnes qui auraient des ancêtres Français depuis plusieurs générations, au point que l’on ne sait plus à quand remonte l’arrivée des ascendants qui n’avaient pas la nationalité Française.
Cela reste un mot passe-partout, qui ne revêt pas forcément un caractère polémique.
Moi-même, n’ayant connaissance d’aucun ascendant étranger, je peux dire que je suis « Français de souche ».
La nuance est importante :
Cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’ascendants étrangers, mais que je n’en ai pas connaissance car ils sont trop éloignés, chronologiquement parlant.
Mais comme nous nous trouvons dans un contexte où tout prête à polémique, il est bien difficile d’inciter les gens à sen tenir à cette définition qui ne fait que qualifier un état de fait.
Atlantico :
Comment en est-elle venue à être associée à l’extrême droite ?
Jacques Barou :
A divers moments, où le danger était perçu comme venant de l’extérieur, comme c’était le cas dans l’entre-deux-guerres, l’acquisition de la nationalité par droit du sol a été remise en question.
Beaucoup de personnes doutaient de la loyauté des Français de fraîche date.
L’idée de « souche » renvoie au mythe de ceux qui ont poussé avec la terre, à « la terre qui ne ment pas » du gouvernement de Vichy, et donc à des moments où l’on avait tendance à ostraciser tout ce qui n’était pas considéré comme vraiment Français.
Le Front National est monté en puissance en insistant sur le fait qu’un certain nombre de personnes devenues française par droit du sol avaient des comportements qui ne respectaient pas les valeurs Françaises.
En octobre 2013, 72 % des Français se disaient favorables à une réforme du droit du sol pour empêcher l’acquisition automatique de la nationalité à la majorité pour les enfants nés en France de parents étrangers.
Cette idée, qui émanait à l’époque de « Jean-François Copé », constituait une réponse à l’extrême droite.
Atlantico :
Est-ce le terme qui pose problème à ceux qui, comme « Aurélie Filippetti », ont parlé de « faute » du président de la République, ou bien est-ce le concept lui-même ?
Jacques Barou :
C’est surtout le terme qui gêne, car il renvoie à un contexte actuellement agité, troublé par les débats de société déclenchés par les attentats de janvier.
L’heure est à la remise en cause de l’appartenance à la République d’un certain nombre de gens qui en trahissent les valeurs.
Lorsque l’on emploie « Français de souche », on est implicitement accusé d’être plus ou moins raciste.
En outre, les réseaux sociaux exercent une pression aujourd’hui, pour que tout un chacun se positionne à partir de la critique d’un autre.
C’est ainsi qu’à partir de tel ou tel mot on mène des procès à n’en plus finir.
Difficile, dans ces conditions, de trouver des mots qui soient d’une neutralité totale.
Atlantico :
Comment faire pour désigner la réalité sans froisser qui que ce soit ?
Jacques Barou :
On risque de trouver des mots quelque peu aberrants, tels que « Français non migrants », « Français sans origine étrangère » ou « Français d’ascendance Française », mais là encore ces expressions seraient sujettes à caution.
Je pense qu’on ne trouvera jamais de terme vraiment satisfaisant.
Toutes ces possibilités prêtent le flanc à la critique, surtout lorsque l’on voit que le moindre mot, même le plus neutre et entouré de guillemets, fait le buzz.
Mais il faut aussi se rendre compte qu’assez naturellement, on ne se soucie gère de définir ce qui constitue la majorité.
On éprouve généralement davantage ce souci à l’égard des minorités, qui d’ailleurs n’ont pas forcément envie d’être définies ainsi.
Aujourd’hui on peut considérer sans trop risquer de se tromper qu’entre 60 et 70 % des Français n’ont pas d’ascendance étrangère, ou ne s’en souviennent plus.
Propos recueillis par Gilles Boutin
http://www.atlantico.fr/ du 25/02/2015